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Un film qui transporte...

Affiche du filmTrois personnages sur une île, au XVIII° siècle, c’est tout. C’est peu et c’est beaucoup, car c’est Céline Sciamma qui raconte. Et quand Céline Sciamma raconte, on est subjugué (en tout cas, je l’ai toujours été ; cf. "Tomboy", "Bande de filles" ! C. Sciamma est aussi la scénariste de "Ma vie de courgette") : le temps semble passer plutôt lentement, mais sans ennui ; la caméra s’attarde sur des attentes durant lesquelles, dans le secret de leur âme, se passent beaucoup de choses chez les personnages, qu’on ne peut que deviner.

C’est fort, très retenu (retenue qui peut passer pour un certain maniérisme, d’ailleurs, mais, selon moi, pas du tout !). L’amour lesbien qui naît dans ce monde insulaire dont les hommes sont absents, alors qu’ils imposent pourtant leur loi patriarcale, est décrit avec pudeur, délicatesse et finesse, à la manière du pinceau qui donne peu à peu forme au tableau en devenir. Mais contrairement au tableau, cet amour ne peut aboutir : les femmes n’ont aucune liberté.

Il est donc question de peinture aussi : une artiste-peintre, qui du reste est contrainte de travestir son nom quand elle traite des sujets réservés aux peintres masculins (!), vient faire le portrait commandé par une mère aristocrate de sa fille fraîchement sortie du couvent, sachant que ce portrait est destiné à servir de demande d’agrément à un futur mari milanais (une sorte de "flying" en somme), le tout sous le regard (distant) de la servante de la maisonnée. — Tableau qui "vendra" donc le modèle aimé de l’artiste à un homme qui n’est même pas connu !

Tout est magnifique : les images, les dialogues ciselés (certaines répliques sont assez "littéraires"), les costumes, les quelques rares minutes de musique, et, surtout, les actrices, au premier rang desquelles se trouve, à mes yeux, Noémie Merlant, dont le regard est décidément incroyable ! La servante jouée par Luana Bajrami, est formidable également, elle qui tout en délicatesse brise les barrières liées à sa condition pour finalement... jouer aux cartes avec les deux autres femmes. Adèle Haenel ne paraît pas toujours à l’aise dans son rôle, mais c’est un peu sa marque de fabrique, je crois, et cela crée une sorte d’étrange malaise tout à fait réjouissant ! Avec sa mère (quatrième femme, peu présente), elle forme une curieuse famille, où le modernisme semble comme perturbé par l’époque et inversement : le personnage d’Adèle Haenel est joué de manière éloignée de ce qu’on attend d’un personnage du XVIII° siècle (avec son regard inquiétant d’ambigüité, ses manières légèrement disgracieuses), tandis que celui de la mère porte les cheveux coupés plutôt courts et frisés selon des canons qui me semblent totalement impossibles à l’époque classique.

Ajoutez à cela le passage musical chanté par des villageoises (pas d’hommes non plus, je crois !), au style complètement anachronique, et vous comprendrez peut-être la fascination qu’a exercée sur moi ce film vraiment intéressant à force d'intriguer, très loin de tout naturalisme, invitant plutôt à une réflexion sur le regard de l’artiste, sa création, la condition des femmes dans une société corsetée où elles n’ont aucun droit (ou si peu), l'expression de l'amour...
  

Présentation par Allociné : http://www.allocine.fr/film/
fichefilm_gen_cfilm=265621.html